Le Temps - 03.2021
La vision, la gouvernance et les fourmis
C’est une évidence d’affirmer que les entreprises et organisations mettent généralement un soin particulier à choisir les personnes les plus compétentes à la tête d’entités ou de départements pour assumer des responsabilités de pilotage. Malheureusement, malgré le niveau fréquemment élevé de compétences techniques et relationnelles, j’observe que nous sommes souvent confrontés à des enjeux de convergence, problématique de plus en plus centrale qui grippe trop souvent les rouages de nos organisations.
Prenez un homme ou une femme et mettez le/la à la tête d’une structure, d’un département, d’un service ou même à la tête d’une entreprise appartenant à un groupe, et vous vous apercevrez qu’il/elle privilégiera d’abord les intérêts de son unité avant ceux de l’organisation.
En effet, nous relevons régulièrement que la perspective des acteurs se développe presque toujours à partir de là où ils se positionnent. Si le discours est convenu, condition indispensable pour être nommé dans ce type de fonction, dans les faits ils agissent souvent, pas forcément consciemment, contre les intérêts de l’entité supérieure. C’est pourtant elle qu’il s’agit de défendre en priorité, afin qu’elle puisse réaliser sa stratégie. Une des conséquences de cette regrettable dynamique, c’est de devoir recadrer régulièrement les choses pour remettre les responsables évoqués dans le droit chemin. Une autre conséquence non négligeable, c’est que nous créons ainsi la compétition dans l’organisation au lieu de la développer sur le marché.
L’étude des insectes offre parfois des parallèles intéressants avec le fonctionnement de nos entreprises. S’agissant de la fourmi, nous savions déjà qu’elle était capable de porter près de 60 fois son propre poids et qu’elle s’associe volontiers à ses congénères pour porter de lourdes charges, en particulier de la nourriture. Quand on porte la même charge à plusieurs, il faut être très clair sur la direction à prendre ensemble. Nous pensions dans un premier temps que les fourmis, par un mécanisme de coordination inconnu, allaient toutes exactement dans le même sens pour réaliser leur mission. Finalement, il n’en est rien, des scientifiques ayant récemment démontrés que chaque fourmi prenait une direction qui lui était propre et que du coup, c’est le cumul des forces plus ou moins convergentes qui donnaient la direction du groupe.
Revenons à nos organisations et, à l’image des fourmis portant ensemble une charge, imaginons la débauche d’énergie gaspillée pour parvenir à un même but. La grande majorité des entreprises sont dans cette situation et dépensent sans compter une énergie précieuse qui serait tellement plus utile ailleurs. La définition d’une vision partagée prend du temps et ne se décide pas sur un vote majoritaire. Elle doit être le fruit d’un processus dans lequel chacun s’exprime et acquiert la conviction que la manière d’atteindre l’objectif est la bonne. Le cerveau d’une fourmi est doté de 250'000 cellules cérébrales, le nôtre 86 milliards de neurones, nous devrions pouvoir faire mieux...