Le Temps Carrières - 01.2018

Brains war : épisode 1

« IA, je suis ton père », pourrait dire dans quelques décennies un cerveau humain avant d’être projeté dans le néant par un cerveau artificiel... S’il ne faut pas sombrer trop rapidement du côté sombre de la force, les perspectives liées au développement rapide des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) doivent nous interpeller. En effet, jamais l’humanité n’a été confrontée à une révolution aussi sérieuse que soudaine.

Cette révolution a déjà commencé avec ce nouveau millénaire et chaque jour apporte son lot d’innovations. Pour les spécialistes*, l’intelligence artificielle (IA) se développe en 4 phases. La première, qui s’est terminée en 2010, reposait sur des programmes traditionnels et des algorithmes se programmant manuellement. La phase actuelle, qui a débuté en 2012, est celle du deep learning, dans laquelle les outils s’éduquent plus qu’ils ne se programment, grâce aux bases de données gigantesques auxquelles ils ont accès (c’est le fameux big data). La 3ème phase, attendue vers 2030, devrait être celle d’une IA capable de contextualiser et enfin, stade ultime, l’apparition en dernière phase d’une conscience artificielle. Mais revenons à la phase 2, celle qui devrait nous préoccuper aujourd’hui. Encadrés et développés par les GAFA américains (Google, Amazon, Facebook et Apple) ou leurs clones chinois, qui maîtrisent un pouvoir immense grâce à l’exploitation des données personnelles laissées gratuitement sur le net, ces nouveaux outils permettent déjà d’exécuter des tâches mieux que nous. Elon Musk nous promet même dès 2022 l’augmentation de nos capacités cérébrales grâce à l’implantation dans nos cerveaux de composants électroniques. S’il y a quelques années, nous imaginions que par la robotisation les tâches à plus faible valeur ajoutée étaient celles qui étaient le plus en danger, il en va tout autrement aujourd’hui : l’oncologue ou le radiologue, par exemple, ont plus de soucis à se faire que l’aide-soignante. Et il en est de même pour l’avocat, le journaliste ou l’ingénieur.

Les enjeux liés à ces évolutions sont monstrueux. Au niveau de la gouvernance tout d’abord, qui échappe à tout pouvoir politique ou démocratique. Cette thématique est actuellement totalement absente des débats et ce sont bien les GAFA, qui ont le cash et le pouvoir de l’information, qui fixent les règles du jeu, sans redistribuer, via l’impôt, la richesse créée. Sans oublier qu’aucun acteur technologique global n’est situé en Europe. Au niveau économique ensuite, quand on compare ce que coûte un outil de deep learning dans le cloud accessible en wifi sur toute la planète par rapport à la formation d’un médecin de haut niveau, soit environ 40 ans d’études primaires, secondaires, académiques et d’expériences cliniques... Ou au niveau de l’éducation encore, qui n’a que très peu évolué ces 50 dernières années. La technologie, qui lit, mémorise et calcule mieux que nous, est toujours bannie des salles de classes, alors qu’on devrait plutôt apprendre à l’utiliser et à la maîtriser, tout en développant l’indispensable esprit critique.

Ce qui est certain aujourd’hui c’est que notre environnement de travail va être impacté en profondeur et que personne ne sera épargné. Rapidement, la question actuelle de la diversité va devoir être élargie aux acteurs numériques, un nouveau champ d’action pour la fonction Ressources Humaines ?

* « La guerre des intelligences » du Dr Laurent Alexandre