Le Temps Carrières - 17.11.2017
Le sommet de l’ABBomination
Les jeux sont faits. Après des semaines de tergiversation emblématique d’une couardise rare pour un acteur de cette importance, la Direction générale du groupe helvético- suédois a enfin osé annoncer les mesures qu’elle allait prendre pour son site genevois. Massacre à la « délocaliseuse » : 150 emplois qualifiés vont être supprimés à Genève, soit près de 50% de l’effectif, et ce n’est qu’un début, pour la plus grande joie de quelques financiers bornés à l’horizon-temps trimestriel et de quelques ouvriers polonais qui n’y peuvent rien.
Une fois encore, on sacrifie une entreprise industrielle au bilan solide, performante et profitable, sur l’autel des rendements potentiels à court terme, et on lâche des collaboratrices et collaborateurs, emmenés par un patron exceptionnel. Ils avaient réussi ensemble à faire de Genève le centre de compétence mondial pour les transformateurs de traction, aux prix d’efforts conséquents et en développant une culture d’entreprise forte, ce qui est une remarquable performance. Du haut de leurs bureaux zurichois, il est d’expérience toujours plus facile de supprimer des emplois loin de chez soi, ces stratèges de haut vol trahissent leurs dirigeants locaux, qui ont tous démissionnés face à l’impossibilité de se faire entendre et d’envisager d’autres alternatives. En plus, ils pillent le savoir-faire d’un personnel local hautement qualifié et fortement engagé.
Ces quantophréniquespathologiques oublient toujours qu’une entreprise est un ensemble, une dynamique collective intégrée dans un contexte. Croire qu’en supprimant une unité de production pourtant rentable on pourra poursuivre des projets de développement aussi prometteur que le TOSA, ou en imaginer d’autres, est un leurre (le TOSA est bus électrique se rechargeant aux arrêts, inventé notamment par ABB à Genève et jouissant d’un énorme potentiel). Cet hypothétique gain supplémentaire venu de l’est, s’il se réalise un jour, était peut-être le modeste prix à payer, un manque à gagner en fait, pour garder une entreprise forte, située dans un des plus performants clusters technologiques d’Europe, en capacité à continuer d’inventer le monde des transports de demain. En effet, traditionnellement, ce ne sont pas les pays qui offrent la main d’œuvre la meilleure marché qui sont les plus innovants, sans parler des systèmes politiques particulièrement instables qui les gèrent. Ajoutons encore que séparer la production de la recherche est caractéristique d’une vision tayloriste de l’industrie. Aujourd’hui, ceux qui font peuvent être aussi ceux qui pensent...
Enfin, comment une entreprise qui a été capable de verser pour 233 mio de francs d’indemnités de départ à ses anciens dirigeants (148 pour Percy Barnevik et 85 pour Göran Lindahl, en 2002, qui en ont ensuite remboursé la moitié face à l’indignation générale suscitée) peut justifier sérieusement une telle décision ? Que sont les bénéfices escomptés face à de tels chiffres, même anciens ? A l’heure où la notion de sens est essentielle à l’engagement, ces fautes grossières vont se payer très cher et donner du grain à moudre aux populistes de tous bords.