Le Temps - 04.2020
Covid-19, Post tenebras lux ?
Il y a près d’un mois maintenant, en donnant raison aux paraskevidékatriaphobiques (phobiques du vendredi 13 pour les incultes), le Conseil Fédéral a fait basculer notre pays dans une nouvelle ère de peurs, de doutes et de profondes remises en question. En quelques jours seulement, la plupart des entreprises et organisations dont les activités n’ont pas été interdites ont pu les poursuivre en développant dans une très large mesure le télétravail ou l’alternance des équipes.
Les difficultés de certains collaborateurs à faire évoluer leur façon de faire ou d’utiliser les outils informatiques actuels, comme la crainte de nombreux cadres d’accorder leur confiance à leurs subordonnés ont été vaincues en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Même si nousne sommes pas tous égaux face à ce défi, par la possibilité d’avoir suffisamment d’espace pour s’isoler chez soi, d’avoir les outils nécessaires ou un système de garde pour les enfants, les prestations ont généralement pu être maintenues sans gros problèmes.
Si la capacité globale de résilience d’une bonne partie de notre économie et de ses ressources humaines est à relever, notamment grâce aux saines finances de la Confédération qui permettent d’amortir pour certains la catastrophe économique, sans oublier toutes les entreprises qui ont été complètement arrêtées et qui luttent aujourd’hui pour leur survie, d’autres éléments méritent une vraie réflexion sur nos modes de vie.
Sur les aspects positifs tout d’abord, il n’aura échappé à personne que depuis le vendredi 13 mars, c’est tous les jours dimanche au niveau de la mobilité. Nos villes sont désengorgées, fluides, dépolluées, et la nature reprend gentiment ses droits. Les commerçants alimentaires qui restent ouverts et qui vendent des produits locaux voient un développement florissant de leurs affaires, le tourisme d’achat devenant impossible. Nous redécouvrons nos besoins de relations humaines, via nos apéros-Skype par exemple, et la solidarité avec les plus faibles d’entre nous. Nous revalorisons des professions autrefois négligées comme les caissier-ère-s de supermarché, les postier-ère-s et nettoyeur-euse-s ou reconnaissons de façon émouvante le travail de nos soignant-e-s. Le rythme général a baissé et nous passons plus de temps avec les nôtres. S’il n’était pas question d’incertitude et d’accepter le défi de l’impuissance, nous pourrions dire que qualitativement nos vies sont meilleures.
D’un autre côté, nous prenons de plein fouet conscience des faiblesses d’un pays comme le nôtre. Une des capitales mondiales de la santé qui se trouve démunie face à la pénurie de masques, de gants ou de médicaments basiques, comme le paracétamol que nous sommes devenus incapables de fabriquer. Les gourous de la mondialisation ont fait de la Chine la fabrique du monde et nous ont incité à délocaliser nos compétences et notre production pour gagner quelques pourcentages de marge, nous en percevons les conséquences actuellement. Les États-Unis qui jouent la carte du repli et de l’égocentrisme en violant leurs propres valeurs et en laissant sur le carreau une large partie de sa population, tandis que leurs GAFA gagnent encore du terrain, à l’image d’Amazon qui embauche des milliers de collaborateurs pendant que nos libraires se meurent. L’Europe, absente, qui laisse Cuba et la Chine venir au secours des hôpitaux italiens…
Une crise offre toujours des opportunités, profitons-en pour revoir nos manières de faire. Privilégions les circuits courts, les productions locales, le travail nomade, les partenaires de proximité qui respectent nos valeurs démocratiques et payons le véritable prix des choses. Utilisons cette crise pour rebondir et reconstruire un monde plus juste, plus responsable et plus cohérent