01.2021
Procédures: de l’impératif de sens
En vacances familiales sur les sommets valaisans pour me remettre d’une année 2020 des plus agitées, j’ai eu le double privilège de goûter aux plaisirs rares du ski, que nos voisins européens ont refusés à leurs concitoyens, ainsi qu’aux dispositifs de lutte contre la pandémie du COVID-19, condition sine qua non pour maintenir possible l’exploitation des domaines skiables.
Pour ma part, je pensais avoir correctement assimilé les gestes barrières, comme le respect des distances sociales ou le port du masque, afin d’être en mesure de protéger mes semblables comme moi-même, mais j’ai été sans cesse confronté au respect des « procédures ». C’est ainsi que je fus régulièrement rappelé à l’ordre pour mettre mon masque, pourtant à l’extérieur et à bonne distance de mes congénères ou dans une télécabine de 10 places que j’occupais juste avec mon épouse et l’un de mes fils. Dans un froid sibérien, nous eûmes aussi le bonheur de déguster nos sandwichs les fesses dans la neige, comme de nombreux autres skieurs, à proximité immédiate de chaises et de tables que la « procédure » avait condamné à un rôle de pure figuration, alors qu’une disposition pertinente de ces dernières aurait garanti le respect des distances sociales et un minimum de confort.
La « procédure », c’est la dictature des temps modernes qui prolifère gaiement dans nos entreprises et organisations. C’est elle qui vous impose d’avoir une double signature pour obtenir une agrafeuse ou d’évaluer négativement un certain pourcentage de vos subordonnés, comme cela est exigé dans certaines grandes sociétés. Sous des prétextes d’efficacité ou de sécurité, on nous impose des règles qui sont censées être des bonnes pratiques, mais qui ne répondent souvent pas à toutes les situations rencontrées. Nous y sommes quotidiennement confrontés et nous nous y soumettons docilement, car les contrer générerait une débauche de temps et d’énergie ou des risques de sanctions.
La « procédure » part sournoisement du principe que les différents acteurs concernés, celui qui doit s’y conformer comme celui qui doit la faire respecter, n’ont pas la faculté de déterminer eux-mêmes ce qui fait sens pour atteindre l’objectif recherché, qu’ils sont bien trop cons pour cela. On place donc les acteurs sous la tutelle d’un système qui leur évite de réfléchir, on leur impose des automatismes hors de tout sens critique, ce qui offre l’avantage confortable de ne prendre aucune responsabilité dans une quelconque décision. 200'000 ans d’évolution de l’humanité depuis l’apparition de l’homo sapiens sur cette terre pour en arriver là, ça laisse songeur !
Nos systèmes d’éducation et de formation privilégient de plus en plus le développement de la réflexion et de l’esprit critique, au détriment de la connaissance à laquelle il est aisé d’accéder aujourd’hui via nos smartphones, par exemple. La notion de sens est fondamentale car elle est synonyme d’engagement ; nous avons tous besoin de comprendre la raison pour laquelle nous devons réaliser une tâche pour pouvoir le faire correctement, d’avoir la possibilité de « penser ce que l’on est censé appliquer et de n’agir que si l’action fait sens » comme l’évoque la philosophe Julia de Funès dans un de ces récents ouvrages, sinon, « on perd tout bon sens, on ne pense plus, on ne réfléchit plus, on applique ».