Le Temps - 10.09.2021
Les ressources humaines déconnectées de l’humain, un non-sens !
« Si tu appelles une voyante et qu’elle ne répond pas avant que ça sonne, raccroche !». En effet, quand on est voyant.e on devrait pouvoir prédire l’avenir... et quand on est DRH on devrait pouvoir gérer le capital humain d’une organisation. Malheureusement, depuis une grosse décennie et sous l’impulsion des grandes banques et autres acteurs globaux qui cherchaient une réduction de leurs coûts visibles, on a assez fondamentalement revu la gestion des Ressources Humaines dans certaines grandes entreprises. Le modèle fréquemment adopté, plus léger en ressources, est assez simple : on met à disposition des collaboratrices, collaborateurs et des cadres de proximité, des plateformes informatiques qui sont censées pouvoir répondre à toutes leurs questions. Elles sont parfois complétées, dans les structures les plus élaborées, par une « hotline d’assistance RH » où une personne qu’on ne connait pas, domiciliée dans un pays « low cost », tente d’offrir un support pour apporter une réponse au problème posé.
En conséquence, ce rôle de gestionnaire RH auprès du personnel est ainsi confié directement aux managers qui, dans le meilleur des cas, ont potentiellement reçus une formation pour le faire. Il est intéressant à ce stade de se souvenir que si la fonction RH a été créée c’est justement parce que la ligne hiérarchique n’avait pas les compétences, l’intérêt ou la disponibilité pour assurer ce rôle de soutien et d’accompagnement transversal.
Déconnectés des collaboratrices et collaborateurs du terrain, les RH ne s’occupent désormais plus que des cadres qu’ils soutiennent dans leurs fonctions en assumant un rôle de « HR Business partner ». Ils ne sont donc en contact avec le personnel que lors du recrutement et dans des situations compliquées que les cadres ne peuvent résoudre, où il faut régler des problèmes qui sortent de la norme ou encore des conflits sérieux. Franchement, quel est le sens d’une fonction RH qui est déconnectée des deux tiers de la population de son entreprise ? Dans ces organisations, l’image des RH est désastreuse, car ils n’interviennent qu’en cas de problème et sortent de leurs rôles de représentant du personnel à la Direction et de représentant de la Direction envers le personnel.
« Bras armé de la direction », les RH ne sont plus considérés par les collaboratrices et collaborateurs de l’organisation comme un interlocuteur pertinent ou une personne de confiance, ils vont plutôt chercher une écoute à l’extérieur de l’entreprise, en s’adressant au syndicat par exemple, ce qui ne peut que compliquer les choses. Par ailleurs, comment garantir une harmonisation des pratiques et une égalité de traitements quand chaque cadre peut résoudre différemment une situation ? Comment avoir une vision concrète et transversale de l’intégration des nouvelles compétences recrutées, si l’on n’est pas en contact direct avec elles ? Comment repérer les talents à fidéliser ? Dans ce contexte, comment développer une vision d’ensemble objective et s’assurer de la bonne mise en œuvre de sa stratégie de GRH ?
Ce modèle qui parait efficient sur le papier engendre à mon avis des coûts cachés importants (turnover, absentéisme, conflits, etc.) qui plombent méchamment la pertinence de l’appliquer. Et c’est bien le drame de la fonction RH d’être incapable de mesurer sa valeur ajoutée avec précision. Un regard attentif sur la boule de cristal ou le marc de café nous prédira certainement la fin de ce type de modèle, tant une GRH performante devient essentielle aujourd’hui pour garantir la compétitivité d’une entreprise.