Le Temps - 12.09.2021
Du rôle et du statut de cadre
On fait rarement la différence entre le rôle et le statut de cadre dans une entreprise ou une organisation. Pour une majorité de cadres, l’attrait de la fonction est surtout lié à un statut qui a une forte connotation symbolique. Être cadre, ça veut dire être chef, être au-dessus des autres, représenter son organisation, avoir des responsabilités plus importantes, une posture sociale enviable et de meilleures conditions d’emploi. Ces dernières peuvent être très significativement différentes des collaborateurs lambda, un salaire plus élevé et une part variable, une retraite mieux financée, des frais de représentation, un droit aux vacances plus généreux, et parfois encore un véhicule, une place de parking et même des congés sabbatiques rémunérés au cours desquels des formations peuvent être prises en charge. Devenir cadre, c’est donc aussi bon pour l’orgueil que pour le porte-monnaie.
A l’époque et sous l’influence de l’organisation militaire, on privilégiait un système de castes et on séparait volontiers de la troupe (le personnel), les sous-officiers (cadres de proximité) et les officiers (cadres supérieurs). Chacun était reconnaissable par sa tenue et avait un espace dédié pour manger ou pour dormir, la qualité de l’hébergement et de la subsistance étant directement proportionnelle au niveau hiérarchique. La distance permettait de donner des ordres sans avoir à les expliquer. C’est comme s’il s’agissait de séparer les acteurs en strates différentes afin que les échelons inférieurs ne se rendent pas trop vite compte que ceux qui les commandaient étaient comme eux...
Les choses ont évidemment bien changé. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup à gagner à travailler sur la proximité et le sens, qu’être avec était plus fort qu’être dessus. La création du lien, le développement de relations de confiance, la convergence de vue sur les objectifs, le partage d’une « communauté de destin », autant d’éléments essentiels pour générer de l’engagement avec des collaboratrices et collaborateurs de mieux en mieux formés, qui ont besoin de comprendre les raisons de leur travail et d’adhérer à un système de valeur. On a aussi compris que le management le plus performant était à l’équilibre entre le lien et l’exigence : plus la relation de proximité est intense avec l’équipe, plus l’exigence peut être élevée et donc, plus les objectifs à atteindre peuvent être ambitieux.
Aujourd’hui, le statut perd de plus en plus d’importance, avec une bonne partie de ses avantages, alors que le rôle devient central. On ne rémunère plus un statut, mais la capacité de produire un résultat d’ensemble. Les cadres quittent leurs bureaux individuels pour s’intégrer dans leurs équipes. On attend d’eux de l’exemplarité, de l’authenticité, de savoir susciter de l’engagement. La pandémie étant passé par là, les cadres qui se réfugiaient derrière leur statut ont démontré leur inefficacité. Quant à ceux qui sont parvenus à garder un lien fort avec des collaboratrices et collaborateurs qui travaillaient à distance, ils ont renforcé leur leadership et sont devenu des facteurs de compétitivité pour leurs organisations. Inspirons-nous de la marine française : dans les sous-marins nucléaires en exercice, les officiers enlèvent leurs grades afin que chacun puisse jouer au mieux son rôle, sans influence hiérarchique.