Le Temps - 03.2019

Savoir être et avoir été

Il faudrait savoir être et avoir été. Être capable de quitter un projet ou une entreprise que l’on a imaginé et développé, tout en créant les conditions du succès pour son futur. Faciliter sa succession et accepter que d’autres reprennent le flambeau, en incarnant une nouvelle sensibilité, en défendant de nouvelles valeurs, en proposant de nouvelles idées, en apportant de nouvelles perspectives. « Servir et disparaître » comme disent certains politiciens émérites qui retournent dans le rang à la fin de leur mandat électif et qui s’abstiennent d’intervenir ensuite dans les débats. Malheureusement, on observe que certaines personnes en sont incapables et peuvent être un frein majeur au développement de leur propre création. Dans certains cas, un fondateur peut même aller jusqu’à la destruction de ce qu’il a construit, tant il ne peut imaginer que les choses se poursuivent sans lui.

Préparer sa succession est tout un art et sortir par la grande porte sous les hourras d’un personnel ému et reconnaissant devrait être l’objectif de tout entrepreneur. Souvent, ceux qui ont de la peine à tourner la page sont ceux qui ont un rapport particulier au pouvoir; ils l’ont farouchement gardé pour eux ! Dirigeants fréquemment autocratiques, ils ont tenu d’une main de fer un environnement où le climat de confiance et la réelle délégation étaient absents. Ces adeptes du « one man/woman show » ont par ailleurs construit leur personnalité principalement sur leur fonction, leur statut professionnel, au détriment d’eux-mêmes. Évidemment, quitter sa fonction dans ces conditions revient à se couper de tout son réseau, de sombrer vite dans l’anonymat et la solitude.

Pour autant que le dirigeant ne soit pas lui-même le propriétaire de la structure, ou qu’il n’ait pas luimême constitué un Conseil particulièrement bienveillant à son égard, ce que l’on voit assez souvent dans le monde associatif, une saine gouvernance est très utile dans ce contexte. Incarner un vrai contre-pouvoir au niveau de la haute direction, du Conseil d’administration ou de Fondation par exemple, est indispensable pour garantir une succession réussie. Il est par ailleurs impératif d’anticiper le départ, trois ans auparavant au minimum, et de préparer au sein même de l’organisation différents potentiels successeurs, tout en s’assurant qu’ils ne sont pas sous le joug du patron actuel. On peut également en repérer dans le marché et les suivre, s’ils n’existent pas en interne. Une erreur trop souvent commise est celle de mettre au Conseil, tout de suite après son départ, l’ancien dirigeant. Dans ce cas, toute proposition du nouveau patron sera perçue comme une critique du passé, remettant en cause une manière de faire antérieure. Combien de nouveaux patrons ne se sont-ils pas cassé le nez sur ce type de situation où ils doivent challenger « l’homme qui sait » et prêter leur flanc à sa critique ? Souvent, ils passent à la trappe et confortent le Conseil dans l’idée qu’il sera très difficile de remplacer le sortant… Cependant, garder à bord un homme ou une femme d’expérience connaissant très bien l’organisation peut être très utile, après avoir laissé au nouveau dirigeant le temps de faire sa place. Finalement, il faut savoir servir… ou disparaître !